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La cloche !


Point d’exégèse pour intello et lecteur motivé


Peu de lecteurs d’Une autre rafle, de Philippe Claire, semblent avoir retenu la présence, tout aussi ubique qu’évanescente, d’une mystérieuse cloche qui sonne régulièrement le glas. L’effet a également été inséré dans la bande sonore du documentaire « La terre ne ment pas… ». Dans cet extrait de la page 147, par exemple :

« […] Avant de s’engager sur la Nationale, Émile perçut de nouveau la cloche. Il s’immobilisa :

- Vous entendez ?

- Quoi, Ackerman ?

- On sonne le glas.

Le gendarme leva le menton une fraction de seconde et grimaça :

- Des balivernes. Il n’y a pas d’église dans le coin, et encore moins de synagogue, heureusement. Ah, vous les Juifs, vous êtes les rois des tours de passe-passe… avec notre argent ! […] »

Pour aider à la compréhension de ce procédé narratif, le détournement d’éclairage permet d’en saisir l’imaginaire créatif. Celui du philosophe Vladimir Jankélévitch, qui analyse une autre forme d’expression artistique dans La musique et l’ineffable (référence en bas de page), est significatif à ce titre :

« […] Un conte d’Andersen La Cloche, nous fait comprendre cela en termes admirables : une cloche sonne mystérieusement dans la forêt, et personne ne sait où est l’église, où est le clocher, d’où vient le nom merveilleux de cette cloche. En vérité c’est la grande église de la nature et de la poésie, c’est l’église omniprésente et omniabsente qui fait entendre l’Alléluia de la sainte cloche invisible. Le pays des rêves, le pays qui n’est à personne, la patrie des choses inexistantes, la Jérusalem mystique du Requiem, la ville invisible et transmondaine de Kitiège désignent aussi la douteuse patrie d’un charme qui n’est pas ici ou là, mais partout et nulle part […] La cité d’Utopie […] comme la contrée lointaine du troubadour, échappe à toute topographie […] »

Ajoutons que chez Philippe Claire la cloche est aussi pensée comme une forme de conscience omnisciente qui rappelle par le glas un danger permanent et invite, dans un message subliminal, à la résistance, à la révolte et à l’évasion. Le gendarme commet également une erreur, les synagogues sont en effet dépourvues d’une cloche « d’appel » à l’inverse des églises. Il y a là une volonté d’intemporalité de la part du narrateur.

Éditions Points, collection Essais, p 118.


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